Florence Lustman, présidente de France Assureurs, revient dans le numéro 128 de la revue Risques sur le rôle que pourraient jouer, dans l’avenir, les complémentaires santé.
La pandémie a mis en exergue les difficultés de notre système de santé. France Assureurs a quant à elle identifié quatre défis majeurs à relever pour améliorer la santé des Français : un accès inégal aux soins, une inégalité d’accès à l’information, un manque de prévention et enfin, un manque d’efficience. Les assurances complémentaires santé souhaitent jouer pleinement leur rôle pour relever ces défis. Elles disposent pour cela d’une expérience et d’une expertise en tant qu’acteurs du système de santé.
On a beaucoup parlé du « monde d’après » depuis l’irruption de la crise de la Covid-19. Cette pandémie mondiale a bouleversé nos sociétés, en faisant plusieurs millions de victimes, dont plus de 120 000 en France. La Covid-19 a fait augmenter la dette, poussé les Etats à prendre des mesures sanitaires inimaginables il y a encore quelques années. Elle a rappelé aux sociétés modernes qui se croyaient à l’abri des grands chocs de l’histoire que les grandes crises sont encore possibles.
La crise de la Covid-19 a aussi tristement éclairé les dysfonctionnements de nos systèmes de santé. Elle les a lourdement impactés dans la plupart des pays et la France n’a malheureusement pas échappé à cette mise sous tension extrême. La pandémie a jeté la lumière sur le rôle sociétal, la dimension stratégique et l’enjeu politique que constitue la protection sociale, longtemps considérée à travers le seul prisme du coût de l’assurance maladie alors que la santé est un secteur économique de premier plan en France.
Les deux années passées ont révélé à tous les fragilités de notre système de santé, incapable de répondre clairement aux défis qui s’annoncent pour notre avenir. Quand on compare tous ces manquements avec la belle et généreuse énergie déployée par le personnel soignant tout au long de la crise, cela a de quoi nous questionner.
Ainsi, souvent considéré comme l’un des meilleurs au monde, le système français d’assurance maladie ne fait pas toujours figure de « premier de la classe » dans les classements officiels et les systèmes de notation d’organismes spécialisés. L’Euro Health Consumer Index (EHCI), qui évalue les performances des systèmes de santé européens, place la France au onzième rang au sein de l’Union européenne. Les résultats 2019 du classement mondial de Bloomberg (OCDE), donc avant la Covid-19 et la crise sanitaire, la classent à la douzième place dans le monde. Si sur certains indicateurs la France présente indéniablement des résultats de tout premier ordre (taux de reste à charge, espérance de vie des femmes, prise en charge des accidents cardio-vasculaires ou oncologie), d’autres, en revanche, sont nettement moins bons, tels que l’espérance de vie en bonne santé (63,7 ans pour les hommes et 64,6 ans pour les femmes) et relèguent la France au neuvième rang des pays de l’Union européenne (EU) !
Face à ce constat, les assureurs ne sont pas restés les bras croisés. France Assureurs est très attachée à l’héritage d’un modèle social qui fait encore la fierté des Français. Elle estime néanmoins que des marges d’action pourraient être saisies afin d’accroître la performance de notre système de santé au bénéfice des Français et de relever les défis de demain. Les assureurs entendent intervenir comme des alliés encore plus efficaces de notre système solidaire.
Aujourd’hui, il apparaît indispensable de construire le futur de notre système de santé sur des bases confortées, durables et viables sur le plan économique, en s’appuyant sur l’innovation et sur les nouvelles technologies, telles que la télémédecine. Pour progresser, notre système de santé doit relever quatre défis majeurs : renforcer l’égalité d’accès aux soins, rendre les parcours de soins et de vie moins fractionnés et plus lisibles, améliorer l’efficience de la dépense publique et développer fortement la prévention.
Le système de santé est confronté à 4 défis majeurs que la crise sanitaire a amplifiés
Un accès inégal aux soins
La France possède un système de santé obligatoire qui repose sur la solidarité entre les plus aisés et les plus démunis, entre actifs et inactifs, entre bien portants et malades. Si cette solidarité permet d’afficher un taux global de reste à charge des dépenses de soins de 6,9 % seulement selon une étude de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) en 2021, ce qui est l’un des meilleurs au monde, elle masque des difficultés réelles d’accès aux soins pour un grand nombre de nos concitoyens. En effet, même les patients qui souffrent d’une affection de longue durée (ALD), bien que largement couverts par l’assurance maladie, conservent des restes à charge très élevés sur plusieurs postes de dépenses (frais d’hospitalisation, dépassements d’honoraires…). Il faut ici rappeler que les Français qui souffrent d’une affection de longue durée sont pris en charge à 100 % par l’assurance maladie obligatoire pour les soins liés à leur pathologie. Ils représentent 16 % des assurés sociaux et concentrent près de 60 % des dépenses remboursées.
On peut également noter une triple inégalité dans l’accès aux soins : sur le plan financier, géographique et qualitatif. Quelques illustrations :
- sur le plan financier d’abord : les taux de reste à charge en 2020 s’élèvent à 9 % pour les soins en ville, 13 % pour les médicaments, 18 % pour les soins dentaires et 27 % pour l’optique ;
- sur le plan territorial, ensuite : selon la Drees, le nombre de Français vivant dans une zone sous-dotée en médecins est passé de 2,5 millions en 2014, soit 3,8 % de la population à 3,8 millions en 2018, ce qui représente 5,7 % de la population. La sous-consommation de soins en zone rurale est, quant à elle, de l’ordre de 20 % du fait de l’éloignement des établissements de soins ;
- enfin, le système français est inégal sur le plan de l’innovation, où tous nos concitoyens ne peuvent pas bénéficier des progrès de la même manière. Les progrès fulgurants recensés dans le domaine du cancer, de l’immunologie, du médicament se heurtent trop souvent à la logique comptable de la Sécurité sociale. Il faut replacer le patient au cœur de l’innovation, comme le soulignent les parlementaires Annie Delmont-Koropoulis et Véronique Guillotin dans leur rapport en juin 20211.
Une inégalité d’accès à l’information
Le deuxième défi pour notre système de santé est d’apporter une meilleure lisibilité aux parcours de soin des Français. Il existe une fracture importante entre nos concitoyens qui disposent d’informations pertinentes pour orienter leurs parcours de soins et ceux qui en sont démunis. Dans ce domaine, le cœur de la bataille est l’accès à l’information. A l’heure du numérique, l’information devrait être mieux diffusée, surtout en ce qui concerne la santé. Les données peuvent nous aider à mieux cibler les attentes et les besoins. Les assureurs ont un vrai savoir-faire dans la gestion des données des assurés. Or, l’optimisation de notre système de santé nécessite un accès à la connaissance et donc une culture de partage de la donnée entre les acteurs publics et privés dans le respect des réglementations sur les données personnelles et la confidentialité médicale. La marge de progrès vers un système plus transparent en la matière est considérable, à condition que les parties prenantes puissent dialoguer, a minima sur la définition et la diffusion des indicateurs de qualité de la prise en charge, en veillant à intégrer le point de vue des assurés.
Un manque de prévention
Le troisième défi est celui de la prévention. Il est urgent d’investir dans la prévention pour permettre aux Français de vivre plus longtemps en bonne santé. Les classements internationaux des systèmes de santé situent la France en mauvaise position dans le domaine de la prévention. En 2017, moins de 2 % de l’ensemble des dépenses de santé étaient alloués à la prévention des maladies, soit une proportion inférieure à la moyenne de l’UE de 3,1 %. S’il existe bien des politiques de prévention au service de la santé publique, celles-ci doivent être complétées d’initiatives plus transversales et à même de répondre efficacement aux besoins individuels des Français, dans le strict respect des personnes.
Les assureurs ont un rôle clé à jouer pour renforcer la prévention au sein de notre système de santé car ils disposent d’une expérience et d’une expertise indéniables dans ce domaine, notamment en assurance collective auprès des entreprises qui constituent de véritables territoires de santé. Surtout, investir dans la prévention serait bénéfique pour toutes et tous. Selon l’Institut Montaigne2, en France, investir dans le système de santé et réorienter les efforts sur la prévention pourrait diminuer de 32 % l’impact des problèmes de santé sur les dépenses de santé.
Un manque d’efficience
Les dépenses de santé, c’est pour nous le quatrième défi. Malgré des efforts substantiels de régulation et de pilotage de la dépense, la Sécurité sociale a affiché plus de trente années ininterrompues de déficits de la branche maladie, 214 Md€, soit en moyenne 6,7 Md€ par an, hors crise Covid. Le contexte de déficit structurel de l’assurance maladie est principalement lié au vieillissement de la population, à l’augmentation des maladies de longue durée et à leur chronicisation. Malgré toutes ces dépenses, les fragilités du système demeurent, comme nous l’avons vu plus haut. Ainsi, tout en dépensant toujours plus, on ne relève pas les défis de demain. Le déficit structurel est voué à s’alourdir au préjudice des générations futures.
Selon la Commission internationale présidée par Olivier Blanchard et Jean Tirole, l’impact démographique sur notre système de santé constitue l’un des trois grands défis économiques à venir, à côté du réchauffement climatique, des inégalités et de l’insécurité économiques. Pour en limiter les effets, les auteurs du rapport invitent l’Etat à « réformer le système de santé afin de favoriser les soins préventifs et d’améliorer la gestion des maladies chroniques. »
Il convient donc d’agir promptement en étudiant les solutions possibles
Notre système de santé est au cœur des préoccupations des Français et son avenir fait actuellement l’objet de débats politiques. Toute réflexion vers une solution « grande Sécu » irait à l’encontre des attentes des Français3. La quasi-nationalisation, envisagée dans les scénarios du Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCaam), semble contre-productive et fait craindre une santé à deux vitesses, une augmentation du coût de la santé et une prise en charge dégradée. De la même manière, 63 % des chefs d’entreprise4 se disent attachés au statu quo actuel et soulignent que la perspective de la nationalisation du système de santé manque de crédibilité et fait craindre une dégradation de l’accès aux soins.
Ainsi, ce scénario de nationalisation de l’assurance santé ne répond pas aux attentes des Français. Il entraînerait également un impact financier supplémentaire, de l’ordre de 40 Md€ (prestations et taxes). En outre, ce scénario est aux antipodes d’une santé plus qualitative à laquelle aspirent les Français. Le duo assurance maladie-assureurs permet de cumuler un socle obligatoire, universel et solidaire, filet de sécurité essentiel en cas de soins coûteux et de pathologies chroniques, et un système assurantiel et facultatif, fondé sur la mutualisation et le libre choix, permettant la personnalisation et la prise en compte des attentes et besoins individuels en matière de couverture santé. Y renoncer reviendrait à enfermer les Français dans un processus uniforme d’actes de soins alors qu’ils aspirent à un parcours davantage personnalisé. Cette stratégie ne peut conduire qu’à une impasse.
Pour une majorité de Français (61 %), le bon fonctionnement du système de santé repose avant tout sur la complémentarité entre l’assurance maladie et les assurances santé. Et les trois quarts des personnes interrogées estiment que chacun des deux acteurs remplit bien son rôle et est à la hauteur de ses missions, de manière indifférenciée. Nous, assureurs santé, sommes des partenaires clés de l’assurance maladie mais aussi des autres acteurs du système de soins pour relever efficacement les défis de demain.
Avec le vieillissement de la population, l’augmentation du coût des pathologies, l’innovation des laboratoires pharmaceutiques, auxquels s’ajoutent les questions éthiques et philosophiques de la fin de vie, notre système de santé universel mis en place dès 1945 est plus que jamais sous tension. Dans ce contexte, les assureurs doivent pouvoir proposer des solutions en partenariat avec les pouvoirs publics, profiter de leur proximité avec les assurés pour développer davantage de services adaptés aux enjeux d’aujourd’hui et de demain, et garantir une utilisation pertinente et raisonnée des données afin de limiter le coût des cotisations ou personnaliser les contrats dans un souci d’efficience de la dépense. Or, la structure actuelle du système de protection sociale freine la capacité des assureurs à créer davantage de valeur pour les Français et pour le système.
Redonner aux assureurs plus de liberté pour leur permettre de jouer pleinement leur rôle sociétal
Aujourd’hui, il apparaît prioritaire de desserrer les contraintes qui pèsent sur le contrat responsable, dont 80 % des garanties sont imposées par les pouvoirs publics, pour permettre aux assureurs d’apporter des solutions adaptées aux besoins des patients. Il faut ainsi adapter son cadre réglementaire existant afin que les assureurs santé puissent avoir de nouvelles marges d’action et d’innovation. Les assureurs souhaitent être en mesure de développer des partenariats accrus avec les professionnels de santé pour une meilleure prise en charge des Français. La pandémie l’a révélé : c’est tout un écosystème qui contribue à améliorer la protection sociale des Français, chacun doit pouvoir y avoir sa place et chaque expertise doit être valorisée à sa juste valeur. Hors discussions conventionnelles, il devient indispensable que les assureurs nouent des relations bilatérales et multilatérales avec l’ensemble des professionnels de santé de manière à échanger, en confiance, sur les difficultés et les objectifs de chacun. Lever les réserves ou les incompréhensions sur le rôle et la place que veulent occuper les assureurs dans le système de santé est tout aussi important.
C’est le sens de l’une de nos propositions : développer le champ des partenariats avec tous les professionnels de santé pour proposer de nouvelles formes de prise en charge et d’accompagnement des Français, notamment autour du dépassement d’honoraires, la promotion de bilans de prévention, de nouveaux modes de suivi des patients, et d’autres encore à imaginer.
Ensuite, il apparaît essentiel d’améliorer la lisibilité du système. Pour cela, il nous semble qu’il faut revoir l’articulation entre l’assurance maladie et les assureurs santé. La première étape consiste à clarifier le rôle des acteurs. L’enjeu est de réfléchir à mieux répartir les rôles, au premier euro, entre l’assurance maladie et les assureurs, dans plusieurs domaines. Pour cela, nous proposons de définir une grille d’analyse permettant d’expertiser, domaine après domaine, la pertinence de l’action de chaque acteur et l’intérêt qu’il y aurait à lui confier tout ou partie de la prise en charge.
Il faut développer les partenariats, notamment entre l’Etat et l’assurance dans les domaines où il existe des synergies. Je pense ici à la prévention. Pour les assureurs, la prévention est plus large que le domaine de la santé. Les assureurs ont développé un savoir-faire en matière de prévention dans les domaines où ils opèrent, notamment les risques industriels et climatiques, dans le risque automobile également. Nous sommes prêts, par l’innovation, à mettre toute notre expertise au service de la santé des Français. Des missions pourraient être confiées par les pouvoirs publics aux assureurs, sur la base d’objectifs et d’indicateurs de suivi (qualité, accès aux soins).
A terme, la complémentaire santé doit dépasser son caractère subsidiaire et devenir une assurance santé essentielle, à portée de tous. Les principales caractéristiques de la complémentaire santé de demain se concentreront sur l’aptitude des assureurs à accompagner les Français tout au long de leur vie et de leur parcours de soins, en liaison avec les opérateurs de santé publics et privés.
Conclusion
Pour faire fructifier le capital santé des Français et améliorer l’efficience de notre système de santé, France Assureurs fait une proposition simple : élargir le rôle de la complémentaire santé. Nous, assureurs, refusons la nationalisation du système de santé sans vouloir sa privatisation pour autant. Nous voulons renforcer la capacité des complémentaires santé à intervenir efficacement aux côtés de la Sécurité sociale.
Nous sommes déjà des acteurs clés de l’accès au soin : 96 % des foyers français sont couverts par une assurance complémentaire santé qui participe pour près de 13 % à la prise en charge de leurs dépenses de santé.
Nous assurons la santé de nos concitoyens au-delà du remboursement des frais de santé, grâce à la prévention, à l’assistance et aux services d’accompagnement. Il est temps d’aller plus loin en nous donnant toute notre place dans ces secteurs, mais également dans la prise en charge des maladies chroniques et dans bien d’autres domaines.
Qu’il s’agisse d’égalité en matière d’accès au soin, d’accompagnement des parcours de soins, de prévention ou de maîtrise des dépenses de santé, nous voulons contribuer à relever ces défis aux côtés des pouvoirs publics et des autres acteurs privés.
Notes
- Rapport du Sénat n° 708 (2020–2021), fait au nom de la commission des Affaires sociales, déposé le 23 juin 2021. https://www.senat.fr/notice-rapport/2020/r20-708-notice.html
- Institut Montaigne, « Filière santé : gagnons la course à l’innovation », mars 2021.
- « Les Français et le système de santé », étude Elabe réalisée pour Malakoff Humanis auprès d’un échantillon de 3 000 personnes, représentatif de la population résidant en France métropolitaine âgée de plus de 18 ans. Enquête menée par Internet du 28 mai au 3 juin 2021.
- Etude réalisée par Elabe pour Malakoff Humanis auprès d’un échantillon de 259 dirigeants d’entreprise. Enquête menée par téléphone du 23 juin au 2 juillet 2021.
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